Par Caroline Morard
Quatre millions ? Cinq millions ? Qu’importent les estimations, le prix payé par la population civile congolaise est monstrueux. Vertigineuse et sordide comptabilité quand on ajoute aux millions de morts, ceux des réfugiés. Sans compter les milliers de femmes, fillettes, grand-mères torturées, violées, contaminées par le VIH, réduites à l’état d’esclave sexuel par les milices sans discipline ni encadrement. Pillages, mutilations et meurtres se multiplient. L'agriculture est paralysée. La famine menace. Des centaines de milliers de personnes fuient les zones de combat et les épidémies comme la choléra commencent à se diffuser sur le territoire.
Et que fait-on pour eux ? À part les ONG, presque rien ! Ou si peu malgré quelques sommets de conciliation médiatisés sans lendemain. « Plus jamais un autre Rwanda » scandent en chœur les sempiternels indignés de la diplomatie internationale. Mais 4 millions de morts dans la population civile congolaise, c’est déjà 4 fois un nouveau Rwanda !
Que faut-il de plus que cette terreur pour que cette guerre, car il s’agit d’une guerre (pas d’un « simple » conflit ethnique) avec des enjeux stratégiques, politiques, économiques régionaux et internationaux, mérite une vraie mobilisation comme ce fut le cas au Darfour ?
Cela fait plus de 10 ans, au lendemain du génocide rwandais, que l’est de la RDC si riche en ressources minières et diamantaires, qui attise convoitises régionales et internationales, sombre inexorablement dans la barbarie.
La force de maintien de la paix de l'ONU en RDC - la plus importante en action dans le monde - est débordée dans un pays de la taille de l'Europe de l'ouest. Avec 16 000 hommes, la Monuc dispose du même effectif que la Kfor au Kosovo pour un territoire 250 fois plus grand et sans doute autrement plus dangereux. Ses 16 000 Casques Bleus n'ont d'ailleurs pas réussi à empêcher l’emballement du conflit. Ils sont même accusés de ne pas avoir su protéger les civils de cet immense territoire. Outre la diplomatie, l'ONU pourrait donc envoyer des renforts en RDC pour résoudre ce conflit. Encore faut-il qu'on lui assigne une mission précise et qu'on lui donne des règles d'intervention adaptées.
Le bras diplomatique et, même, l’action humanitaire ne semblent plus suffire, seuls face à une situation qui devient d’heure en heure plus grave pour les civils. Les derniers événements de Kijanwa le 6 novembre ont été qualifiés de « crimes de guerre » par Alan Doss, le chef de la Monuc.
Alors certes, au nom de l'Union européenne, Bernard Kouchner et David Miliband se sont déplacés conjointement à Kigali. La France et la Grande-Bretagne se sont mobilisées pour convaincre de la nécessité d'une action humanitaire internationale, même si cette option ne fait pas l'unanimité au sein des autres États de L'UE, qui souhaitent privilégier la voie diplomatique….
Certes, Javier Solana, chef de la diplomatie européenne, a affirmé que des avions européens pourraient êtres utilisés pour acheminer de l'aide dans la province du Nord-Kivu, où une offensive de rebelles Tutsis fait redouter une rébellion généralisée.
Certes, à Londres, le secrétaire d'Etat à la Coopération, Douglas Alexander, a annoncé que son pays allait débloquer une aide alimentaire de cinq millions de livres sterling supplémentaires.
Certes, le ministre Verhagen a déclaré devant le Parlement néerlandais, que « des troupes européennes pourraient être déployées aux côtés de la Monuc, si le Conseil de sécurité le jugeait nécessaire »…
Certes, Nicolas Sarkozy, de son côté, a réitéré par téléphone son
"plein soutien" au Président Joseph Kabila. Le président français ne
cesse non plus de s’entretenir à ce sujet avec son homologue angolais,
Jose Eduardo Dos Santos, et le président du Rwanda Paul Kagame.
Certes, un sommet international s’est tenu à Nairobi le 7 novembre
dernier sous l’égide du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, mais
pour quelles avancées ?
Il semblerait donc que la prise de conscience se généralise, un soupçon
de mobilisation s’initie, on notera d’ailleurs que c’est une nouvelle
fois l’Europe et, plus particulièrement, la France qui sont le plus
enclin à s’emparer de ce nouveau douloureux volet de la scène
internationale.
Néanmoins, une mission européenne propre, paraît exclue pour l’instant, à entendre les ministres de la Défense qui préfèrent se ranger derrière l’hypothèse de missions limitées, ponctuelles, de soutien à la Monuc ou aux humanitaires. La communauté internationale, au lendemain du G20 (qui n’avait d’ailleurs, à part l’Afrique du Sud, aucun représentant africain) semblent toute entière acquise à la gestion de la crise financière. Question de priorité certainement…
Alors oui, de la conscience, du droit d’ingérence, des promesses à l’action il y a un gouffre, et c’est à sa faveur que le génocide se poursuit, chaque jour, en toute impunité. Il sera alors bien difficile, le moment venu, de plaider qu’on « ne savait pas » !
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