Par Caroline Morard
Caroline est membre de l'Atelier Europe. Elle est spécialiste des problématiques de santé publique et d'environnement.
Sa première contribution en date du 1er juin dernier portait sur la réforme des institutions.
Merci à elle pour ce nouveau billet.
L’exception française faite de rejet de la mondialisation, de défiance vis-à-vis de l’économie de marché, de résistance au changement d’un modèle social dépassé qui se maintient encore avec des expédients au détriment des générations futures, nous distingue par son ridicule.
Dans les autres grands pays occidentaux, les mêmes évolutions sont considérées comme une source de bienfaits et de développement, au même titre que la démocratie. Une moitié de Français s’en méfie terriblement et une minorité rêve encore d’un socialisme qui conduirait au bonheur d’une société aussi égalitaire que totalitaire. Notre arrogance est à la fois à la hauteur de notre déclin relatif par rapport à nos voisins, qui travaillent tout simplement plus.
Les 35 heures considérées comme une « avancée sociale » étaient solidement ancrées dans le socle social national, alors que le recul économique de la France était déjà patent et la crise sous-jacente. Le nouveau gouvernement a entrepris d’en sortir par le haut en incitant les Français à travailler plus. Il était paradoxal de réduire la durée hebdomadaire et annuelle du travail et d’augmenter, ensuite le nombre d’années de cotisations pour la retraite à taux plein !
Il faudra bien un jour calculer le temps de travail globalisé tout au long de la vie avec le maximum de souplesse pour l’individualisation des horaires en fonction des capacités et des contraintes de chaque salarié et de chaque entreprise.
Est-ce qu’un jour enfin, les responsables de gauche reconnaîtront tout haut ce qu’une majorité d’entre eux pensent tout bas : l’erreur collective des 35 heures ? La bonne foi arithmétique de ses promoteurs n’est pas en cause, ni même la tendance historique à la baisse du temps de travail dans la durée de vie des citoyens qui s’allonge. L’erreur est de nature malthusienne ; ils pensaient à contre-sens que la quantité de travail était limitée et qu’il fallait donc la partager. La facture des 35 h s’élèverait déjà à presque 20 milliards d’euros par an pour, au mieux, 400 000 emplois créés par le partage malthusien. Une simple division montre quand même plus de 50 000 euros par emploi créé ! Avec la même somme, on aurait pu générer trois fois plus d’emplois payés au SMIC et augmenter d’autant la richesse à se partager…
La même incohérence au nom de l’égalité des chances se retrouve dans les politiques de gestion du SMIC. Confondant politique économique et politique sociale, les gouvernements successifs ont été immanquablement tentés de donner un « coup de pouce » au SMIC en l’augmentant. L’intention est généreuse et honorable : il s’agit de penser à ceux qui sont en bas de l’échelle des revenus et tenir les promesses électorales. Quand l’efficacité et l’égalité sont réunies sous une même bannière, il est difficile de ne pas être séduit. Ainsi pendant des décennies ce choix a prévalu. Or la finalité des entreprises n’est pas de créer des emplois mais de la richesse. La compétitivité internationale impose de rémunérer les facteurs de production à leur valeur internationale. Ce n’est pas aux entreprises d’assurer la redistribution sociale ; c’est à la collectivité de corriger la répartition des richesses, par des transferts négatifs et positifs, et de permettre à chacun, sous conditions, d’obtenir un revenu minimum décent.
La solidarité collective ne doit pas détruire la responsabilité individuelle. Il ne devrait pas y avoir de revenu, ou d’indemnisation sans contrepartie d’activité ou d’insertion. C’est une question de dignité pour les individus et d’efficacité pour la société. Il faut cesser d’assister systématiquement et aveuglement, promouvoir l’accompagnement pour encourager l’initiative et l’émancipation. Le meilleur remède contre l’exclusion sociale, c’est la dynamique de projet et de responsabilisation. La responsabilisation solidaire doit prendre pas sur l’assistanat passif et addictif. Pour retrouver le cercle vertueux d’une croissance fortement créatrice d’emploi et d’un faible taux de chômage, il est clairvoyant de réduire les dépenses publiques pour baisser les charges et transformer les dépenses passives du chômage en dépenses actives pour l’emploi.
Jusqu’à présent ce n’était pas le courage de réformer qui a caractérisé les majorités successives du pays. Il y avait toujours une échéance électorale à l’horizon et une bonne raison de sacrifier le long terme et de justifier sa frilosité par la peur de mécontenter telle ou telle catégorie de la population. Dans ces conditions, la réforme devient impossible puisque les décisions prioritaires pour l’intérêt général ne sont généralement pas consensuelles et il se trouvera toujours un groupe de pression mécontent du changement. Ainsi, le changement a un potentiel « électoralement sucidaire » non négligeable et non négociable. Il a y a toujours d’autres urgences à court terme sur le pont, des échéances électorales pour changer de cap et risquer la collision. C’est ainsi que pendant vingt ans, la France a été condamnée par la cohabitation à l’impuissance, à « l’accord momentané dans le désordre respecté » selon la formule de Pierre Massé. Ni la gauche, ni la droite se succédant au pouvoir n’ont eu le courage d’imposer la modernisation de l’État et les réformes structurelles qui ont si bien réussi aux Pays-Bas, en Espagne et, surtout, en Angleterre. À force de moins travailler et de différer les réformes, les Français se sont appauvris par rapport à leurs voisins européens.
Le temps n’est plus à celui où ce qui était obtenu par les uns finissait pas être accordés aux autres. En période de croissance faible, l’effet d’entraînement disparaît. Les avantages acquis se transforment en privilèges abusifs. Cessons de nous chamailler sur la nature des contrats de travail : la meilleure des sécurités c’est la compétence, et celle-ci passe par l’insertion professionnelle réussie. Le marché du travail n’est pas assez ouvert au profit de ceux qui veulent travailler, alors que d’autres sont intouchables, quelle que soit leur performance.
Il y a toujours plus pour ceux qui peuvent prendre les autres en otages. Jusqu’en 2007, les pouvoirs publics ont quasi systématiquement cédé au chantage de la pression des corporatismes. Chaque corporation de l’oligopole social prenant tour à tour en otage une partie de la population pour améliorer sa position relative. Il suffisait de quelques taxis, routiers ou fonctionnaires pour bloquer la circulation, ralentir le pays et faire céder le pouvoir. En ces circonstances, il est plus confortable donner des avantages supplémentaires à la majorité qui s’agite et bloque l’économie.
Pour que les seuls rapports de force ne commandent plus les relations sociales, il faudrait que cesse la culture très française de la grève. Elle ne devrait intervenir qu’en dernier recours, après négociation et comme signe d’échec du dialogue social et non en préalable, comme une prise en otage de la Nation, visant à peser dans le marchandage pour maintenir des acquis obsolètes. La fréquente lâcheté du pouvoir politique a ainsi contribué à accentuer le retard dans la modernisation du management et des relations sociales dans notre pays. Pour ne rien arranger, le syndicalisme en France est moribond, avec moins de 10 % des salariés syndiqués, soit trois à quatre fois moins que chez nos voisins européens. Espérons que la construction de l’Union va contraindre les services publics à la française à s’adapter dans un sens plus responsable, concurrentiel et libéral, d’abord au service des intérêts du citoyen consommateur et contribuable. La concurrence sauvage est certes condamnable, mais tout monopole est facteur de sclérose : un juste milieu est possible avec une flexibilité à visage humain.
Enfin aujourd’hui le courage de réformer l’emporte sur les démagogies électorales et l’exclusivisme des groupes de pression.
La tendance est à la transparence : on ose dire aux Français la vérité sur les finances publiques, l’indispensables reforme de l’Etat ; on ose confronter toutes les illusions, poser toutes les questions. On défie ceux qui pensent que la solidarité consiste à faire payer toujours plus à des jeunes de moins en moins nombreux et qui réclament le partage des fruits de la croissance au lieu de s‘activer pour l’augmenter. On ne peut plus laisser les rapports de force l’emporter sur l’intérêt général.
Face aux crises que nous vivons, il faut réhabiliter l’espoir et la confiance. Dans un monde qui change pour la même manière pour tous, ce qui fait la différence c’est la capacité des hommes et des organisations à défier leurs certitudes et à se remettre en cause pour construire l’avenir autrement.
Le déterminisme ne résiste pas à la détermination.
Rien à ajouter ! Fermement et savamment envoyé !
Rédigé par : eriam | mardi 24 juin 2008 à 17:54